Le bois dont je suis fait
Le bois dont je suis fait : une expression qui indique l'origine des gens, et ils peuvent avoir la tête dure ou bien différente. Il s'agit bien d'une question de transmission, d'héritage, et en particulier de saisir l'intime du lien qui unit les parents aux enfants, lien multiforme, que la mise en scène revivifie de manière virtuose. Le fait de jouer à deux comédiens l'ensemble des sept personnages produit un effet démultiplié de familiarité avec les personnages. On voit, sent leur proximité bien sûr parce qu'ils ont une ressemblance entre eux parce que joués par le même comédien, mais aussi leur différence ténue dans le jeu. Ce qui fait qu'ils sont des personnages différents est imperceptible (un geste, un mouvement de tête, une intonation de voix...) et pourtant c'est suffisant pour les camper dans leur singularité. En même temps il y a cette généalogie puissante incarnée par l'apparence physique du comédien qui nous rappelle d'où chacun vient. La banalité de la situation est sublimée par cet effet, et l'on prend conscience de la mise en place au sein de la famille d'une lignée de cœur, d'une typologie de caractère qui donne tout son sens à chacune des paroles, à chacun des positionnements et dont l'apothéose est sans doute le moment où, après s'être révolté contre l'autorité de son père pendant toute sa vie et au moment où enfin il pourrait s'affirmer pour fonder une nouvelle lignée, le fils prodigue décide de rester au sein de la famille quand la mère de son fils et la femme de son frère quittent la maison après une dernière humiliation du père terrible. Même si à l'intérieur on se distingue, on s'oppose, dans la famille on reste comme s'il y avait un lien encore plus puissant que celui qui s'est tissé au fil des relations, une appartenance fondamentale inconsciente et pourtant efficiente.
Julien Cigana impressionnant de puissance joue le père autoritaire, le fils soumis, la femme du fils qui attend son deuxième enfant. Il incarne une filiation d'acteurs de la vie qui avancent coûte que coûte au risque de briser leur entourage dans une sorte de répétition de l'acte originel d'une absente : la mère du père, fantôme terrifiant qui marque par son absence.
Nicolas Devort incarne la figure de la mère qui sait son heure proche, compatissante et distante, ainsi que le fils rebelle, sa femme et le grand père , lui aussi exclu de sa vie en maison de retraite. La lignée racontée ici est celle des émotions qui font partir, de la nuance, de l'hésitation, la lignée qui soutient l'autre de son ailleurs, constituant ainsi l'écheveau de la famille.
YB