Ay Carmela ou l'âme de la révolte
La pièce s'ouvre sur la montée des marches du comédien sur la scène, il range des parallélépipèdes rectangles blanc dans un ordre mystérieux, s'assied et lit les didascalies du texte de la pièce. Cette entrée en matière donne le ton de la mise en scène : mise à distance, minimalisme, abstraction. On apprend très vite que Carmela n'est plus qu'un fantôme, et l'on comprendra pourquoi, par le retour en arrière proposé. Carmela est une âme pure après avoir été un corps particulièrement vivant et charnel. Il y a de la nostalgie, mais à peine, juste ce qu'il faut pour attiser le désir de Paulino (son compagnon de route et de vie) de la voir revenir d'entre les morts. Ainsi Carmela et Paulino se retrouvent pour évoquer leur histoire qui finira par se fracasser sur celle de la guerre civile espagnole. Mais toutes ces histoires sont effilochées, elles tombent en lambeaux de souvenirs approximatifs et d'actes à peine ébauchés, comme si la mort de Carmela avait cassé quelque chose, provocant une impossible remontée de la mémoire, de la vie. C'est un acte de rébellion qui a tué Carmela, se dressant seule, inconsciente et désespérée contre l'invasion franquiste et il a perdu de sa puissance concrète pour devenir une force symbolique, éthérée dépassant la personne pour atteindre la figure abstraite. Le traitement de la scénographie tout en transparences de noir et de gris, constitue une épure qui vise l'essentiel : les couloirs du temps qui se croisent et s'entrecroisent invitant les destins à se sublimer. On peut penser à Platon nous invitant à passer des corps sensibles aux idées intelligibles dans lesquelles nous pourrons enfin trouver la vérité. Ici la vérité de Carmela, de son histoire, mais surtout du symbole qu'elle représente, fil rouge, comme une ritournelle grave et tenace, incarné par la musique du spectacle, et que les générations de Républicains ont suivi et répété depuis toujours.